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[Reportage]. Frontières du Cotentin : la grande confusion

Société. Reportage aux frontières du Cotentin avec les habitants, mais aussi des faits marquants qui ont fait l'histoire de ce territoire aux limites pas si nettes.

[Reportage]. Frontières du Cotentin : la grande confusion
Les marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie, entre Doville et Saint-Sauveur-le-Vicomte, la porte d'entrée du Cotentin ?

Ce matin-là, les marais blancs sont enveloppés dans la brume, l'on devine le soleil qui tente de percer donnant un éclairage quasi fantasmagorique à ce paysage. Nous sommes aux abords de Carentan-les-Marais, à la recherche des frontières du Cotentin.

Des frontières fluctuantes et mouvantes

Les marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie, entre Doville et Saint-Sauveur-le-Vicomte, "sont la porte d'entrée du Cotentin", affirme Gérard Lemoine, 78 ans, dont la famille vit sur ce territoire depuis plusieurs générations. "Mais le débat et les opinions diffèrent les uns des autres", sourit-il. "Les frontières sont mouvantes, je suis Manchois, mais je suis attaché au territoire du Cotentin", indique Philippe Lenoël, 51 ans, dont la famille est ancrée sur le secteur de la Haye-du-Puits depuis plusieurs générations. Il admet que finalement "chacun à une perception différente du territoire en fonction de son vécu et de l'implantation des familles". Pour ses déplacements, "c'est naturellement que je m'oriente vers Cherbourg, rarement vers Saint-Lô. Pour la mer, c'est Saint-Germain-sur-Ay ou Barneville, mais jamais Granville".

Gaëtan Lebas, 24 ans, habitant près de La Haye-du-Puits, indique lui aussi que "les marais marquent la frontière, mais alors où précisément, je ne sais pas dire. Mais, aujourd'hui, cela ne veut plus dire grand-chose et ça n'existe même plus pour moi, mais c'est vrai que je me déplace plus vers le nord, vers Cherbourg, que vers le centre et sud-Manche, c'est la commodité des voies de circulation !".

Pour les touristes,
la Manche, c'est la mer !

Un peu plus au sud, à Carentan-les-Marais, Jean-Luc Avisse, qui tient un bar, se sent Manchois d'abord : "C'est notre première identité." Pour lui, sa commune marque la frontière vers le Cotentin, "mais c'est très fluctuant à 5, 6 kilomètres près". Il a remarqué "que les touristes qui s'arrêtent chez moi l'été ou pendant les commémorations du D-Day disent venir dans le Cotentin et non dans la Manche ! Pour eux, la Manche, c'est la mer, et monte donc jusque dans le Nord !". Ludovic Groult, 53 ans, habite à Sainte-Mère-Église : "Je me sens Manchois et Cotentinois, je n'ai pas d'attachement particulier à tel ou tel territoire, je ne suis jamais posé la question avant que vous me la posiez", même s'il avoue "une attirance naturelle vers Cherbourg pour mes déplacements, mais ce n'est pas une question de territoire". Pas d'attachement particulier non plus pour Marc Lesieur. Cet octogénaire vaillant est né à Carentan-les-Marais, y a toujours travaillé et y passe sa retraite. Lui, se dirige "plus vers Bayeux, je privilégie les axes routiers les plus pratiques sans me poser plus de questions que ça, et c'est devenu une habitude", indique-t-il.

Sur ce secteur entre Carentan-les-Marais et La Haye-du-Puits, pour ces habitants rencontrés, les frontières du Cotentin restent mouvantes et fluctuantes, mais le secteur semble tout de même indiquer la porte d'entrée du territoire cotentinois.

Le Cotentin aujourd'hui

Cherbourg-Octeville. Le Cotentin aujourd'hui
Cyril Crespin est historien et politologue. Le Cotentin s'est réduit au fil de l'histoire selon lui.

Aujourd'hui, il est compliqué de fixer une limite nette au Cotentin. Petit état des lieux des différentes frontières qu'il est possible de tracer.

"Aujourd'hui, le Cotentin correspond à la presqu'île du Cotentin. C'est-à-dire qu'il s'arrête à une ligne que l'on peut tracer d'ouest en est, de Lessay à Carentan", estime Cyril Crespin, politologue et historien. Il ajoute : "On s'aperçoit de plus en plus que dans l'opinion publique, le Cotentin, c'est la presqu'île du Cotentin." Ce qui dénote avec le grand Cotentin historique. "C'est la revanche de Cherbourg sur Coutance qui explique cette modification dans ce qu'en a aujourd'hui l'opinion publique", explique-t-il. Selon lui, une frontière vient aussi de ce que les habitants vivant sur la zone pensent. Pour Cyril Crespin, d'origine cherbourgeoise, "passer les terres rouges, c'est déjà aller ailleurs". La situation géographique de Cherbourg, dans une cuvette, lui donne aussi une identité de "ville quasiment insulaire".

Si l'on tape Cotentin sur Google Maps, le site suit la définition de Cyril Crespin. Par contre, l'agglomération du Cotentin va, elle, de Port-Bail à Saint-Marcouf-de-l'Isle. Les intercommunalités Côte Ouest Centre Manche et Baie du Cotentin se partagent le reste des communes frontalières. La quatrième circonscription de la Manche, celle de Cherbourg, n'englobe même pas Valognes, Bricquebec et Les Pieux.

Autre découpage possible, celui de la presse. La Manche Libre notamment a une édition "Cherbourg Cotentin". Les cantons couverts par cette édition s'arrêtent à Barneville-Carteret, Saint-Sauveur-le-Vicomte et Sainte-Mère-Église. C'est dire si la frontière est mouvante.

Le Cotentin descend-il jusqu'à Granville ?

Histoire. Le Cotentin descend-il jusqu'à Granville ?
Carte du diocèse de la Manche de 1689, avec les quatre archidiconés. Celui "di Coutanti" qui couvre le nord de la carte s'arrête vers au-dessus de Carentan et de Carteret dans une ligne courbe. - AD50 1 Fi 3/114 1689

Pour délimiter les frontières du Cotentin, il faut aller regarder l'histoire. Ce qui peut révéler quelques surprises.

Pour mieux comprendre et connaître les frontières du Cotentin, il faut se plonger dans les pages des livres d'histoire. Cette immersion peut révéler quelques surprises, comme celle d'un Cotentin s'étendant de Cherbourg à une ligne allant de Granville à Villedieu-les-Poêles, et même Vire, dans le Calvados. Cette frontière qui paraît bien trop grande par rapport à ce qui est considéré aujourd'hui comme le Cotentin provient de l'Antiquité.

L'étymologie même de Cotentin vient aider à comprendre. "Le Cotentin, c'est par définition le pays de Coutances, Constantinum pagus, c'est une contraction", explique Julien Deshayes, du Pays d'art et d'histoire du Clos du Cotentin. Coutances elle-même était la capitale des Unelles, le peuple gallo-romain, mais renommée en l'honneur de l'empereur Constance Chlore, à la fin du IIIe siècle. La civitas, division romaine administrative et territoriale du Cotentin, allait de Cherbourg, jusqu'au sud de Saint-Pair-sur-Mer. À l'est, elle était bordée par la Vire.

Pour certains historiens, cités dans l'article "Quel héritage de l'Antiquité dans la formation des territoires normands", de Laurent Paez-Rezende, Laurence Jeanne et Gaël Léon, ce territoire paraît trop grand par rapport aux autres civitas. "Les recherches archéologiques en cours sur la ville romaine d'Aluna (Valognes) montrent que la taille, l'organisation [...] en font également une prétendante au titre de chef-lieu de civitas", expliquent les auteurs. Il n'est pas possible d'avoir deux chefs-lieux pour un territoire. Peut-être a-t-il existé, avant le IIe siècle, une entité territoriale du Cotentin dans des frontières que l'on connaît. C'est un débat d'historiens.

Administration et religion

Sur cette entité territoriale se sont construites d'autres frontières. "Le Cotentin, pour moi qui suis plutôt médiéviste, c'est le diocèse de Coutances", assure Julien Deshayes. Il poursuit : "Un ressort à la fois religieux et un territoire administratif et juridique sous le contrôle d'un comte." Le grand bailliage du Cotentin, après l'annexion de la Normandie par la France en 1204, couvre les deux diocèses de Coutances et Avranches, par la décision du roi Philippe Auguste.

Dans cette idée, les îles anglo-normandes font partie du Cotentin, car du diocèse de Coutances jusqu'à la réforme anglicane de Henry VIII d'Angleterre au XVIe siècle. Même après l'annexion de la Normandie, si les îles sont perdues politiquement, elles restent dans le diocèse religieusement.

Il n'en reste pas moins qu'il existe une frontière géographique. "Il y a eu une vision, et encore aujourd'hui, le Cotentin va désigner ce qu'on appelle la presqu'île du Cotentin. Elle se délimite géographiquement par la limite des marais, qui constitue encore aujourd'hui une zone tout à fait perceptible", décrit Julien Deshayes. "Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le flux et le reflux quotidiens de la mer se faisaient ressentir très loin dans les terres, jusqu'à Saint-Sauveur-le-Vicomte", affirme-t-il. "Pour venir en Cotentin, il fallait un peu traverser la Mer Rouge, si on veut faire une allégorie biblique", sourit Julien Deshayes, notamment en traversant la baie des Veys, un grand point de passage.

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La création de périmètre politique ou religieux comme la vicomté de Valognes a pu donner une consistance à une frontière naturelle. "La vicomté de Valognes était distincte de la vicomté de Carentan. Il n'y a jamais vraiment d'entité politique, à ma connaissance, qui couvre intégralement la presqu'île du Cotentin, au sens où on la perçoit comme quelque chose de bien défini dans son cadre géographique", estime-t-il.

Il existait aussi dans le diocèse de Coutances, selon une carte de la fin du XVIIe siècle, une entité religieuse couvrant le Cotentin de Port-Bail à Carentan : l'archidiaconé de Coutanti. Sans mettre Carentan dedans, qui faisait partie du Beauptois.

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"Dès l'époque médiévale, il y a un véritable mille-feuille administratif", conclut-il, avec des logiques, et donc des frontières différentes.

"Le Cotentin est un assemblage entre différentes conceptions et un compromis"

Géographie. "Le Cotentin est un assemblage entre différentes conceptions et un compromis"
Stéphane Valognes est géographe à l'université de Caen.

Pour connaître les limites d'un territoire, le mieux est de poser la question à un géographe. Stéphane Valognes est maître de conférences en géographie à l'université de Caen. Il a coordonné l'Atlas de la Manche en 2018.

Stéphane Valognes est maître de conférences en géographie à l'université de Caen. En 2018, il a coordonné l'Atlas de la Manche avec d'autres universitaires.

Y a-t-il une frontière du Cotentin ?

Une frontière, c'est un grand et gros mot qui désigne plutôt une limite entre deux États. Si on pose la question du Cotentin et ses frontières, il ne s'agit pas d'entité étatique mais plutôt de pays ou de territoire sous-régionaux à l'intérieur du département de la Manche et de la région Normandie. Ce sont des limites et pas des frontières qui empêcheraient le passage.

Où sont ces limites ?

Je me bornerais à constater qu'il y a plusieurs interprétations. Est-ce qu'il y a une région naturelle, une région historique ou une région touristique ou agricole ? Il y a plusieurs conceptions de cet espace. Il y a aussi ce que les entités politiques fixent comme limites. On a une communauté d'agglomération qui s'appelle Le Cotentin mais qui exclut une partie du Cotentin historique. Le Cotentin est une sorte d'assemblage entre politique, social, économique et entre différentes conceptions, c'est une sorte de compromis.

Pourquoi varient-elles ?

Elles sont variables en fonction des individus et des groupes sociaux. Des acteurs touristiques n'auront pas la même perception de là ou s'arrêtent les limites du Cotentin que des agriculteurs qui ont des parcelles dans différents endroits. Des politiques auront encore une autre vision. Ce qui fait la pertinence, c'est quand ces différentes échelles d'action s'emboîtent correctement et arrivent à fonctionner en cohérence entre elles. Il semble que dans la période actuelle, ce soit plutôt le cas.

Comment travail un géographe sur un territoire ?

Il y a différentes manières de procéder. On peut les combiner entre elles. Par exemple, c'est comparer les cartes sur le temps long. Un géographe comme Armand Frémont, qui est l'auteur du concept d'espace vécu, dit, par exemple, qu'une région n'a pas vraiment d'existence en soi. Elle est très variable en fonction des pratiques singulières des individus, des groupes sociaux, de leur culture… Les choses ne sont pas forcément fixes. En fonction des individus, de leur position à un moment donné et parfois de l'endroit où on se trouve. Peut-être que, quand on est en déplacement en tant que touriste, on pourra se définir comme du Cotentin à un certain moment de sa vie. Et puis à d'autres, si on est dans une petite région, se dire "je suis plus du Val de Saire" quand je suis dans la Manche, ou de La Hague ou de Cherbourg, ou du plein Cotentin, ou du Clos du Cotentin…

Peut-on définir le Cotentin par sa distance à Cherbourg ?

Il y a aussi une définition d'une région comme un espace polarisé par une ville. Cherbourg, de ce point de vue là, polarise au moins la presqu'île du Cotentin, ou le nord-Cotentin, ou le haut-Cotentin. Ces différentes dimensions, elles ont varié au cours du temps. Cherbourg est la capitale économique et Valognes la capitale politique, puisqu'elle accueille le siège de la communauté d'agglomération. Ça n'empêche pas que certains habitants peuvent se sentir plus représentés par leurs communes ou à leur sous-région comme le Val de Saire ou La Hague.

"Nous sommes assez chauvins"

Les habitants du Cotentin sont fiers de leur territoire.

Qu'est-ce qui fait un Cotentinois aujourd'hui ? Olivier Martin, de Cherbourg, a été pris de court par notre question : "Je ne sais pas, je suis Cotentinois, c'est naturel, cela a toujours été comme ça."

Une particularité unique

D'autres réfléchissent un peu plus, comme Hubert Simon, de Vasteville, qui répond par une simple expression pour tenter de définir un habitant typique du Cotentin : "Les pieds dans la terre, les mains dans la mer." Selon lui, de nombreux administrés ont vécu et vivent encore à la fois de la pêche et de l'agriculture, une particularité unique. Certains vont jusqu'à déclarer "être plus du Cotentin que de la Manche". Pour Greg Nausi, installé à Cherbourg, un Cotentinois est une personne née sur la "presqu'île", surnom donné au territoire composé de 220 km de côtes. Car bon nombre d'entre eux évoquent aussi la Corse ou l'Irlande pour qualifier le Cotentin. Claire Hamel, de Biville et à la tête de l'épicerie ambulante La Haguaise, se revendique d'abord de La Hague : "Nous avons un côté sauvage dans le bon sens, que ce soit dans les paysages ou dans notre façon d'être, nous sommes assez chauvins, fiers de notre territoire. Je suis hyper fière d'habiter ici et de notre façon de vivre. On nous évoque l'écoresponsabilité et la protection de la planète, mais nos anciens ont déjà tout compris. Ils donnent les déchets aux animaux, mangent ce qu'ils produisent dans leur jardin, réparent leurs vêtements eux-mêmes…"

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