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En pleine renaissance, des psychédéliques pour traiter la dépression

France-Monde. Pour gérer ses angoisses, Andrea Bird, malade du cancer en phrase terminale, consomme des psychédéliques, légalement. Cela se passe au Canada où ce type de drogue suscite un intérêt croissant pour son potentiel dans le traitement de la santé mentale.

En pleine renaissance, des psychédéliques pour traiter la dépression
Démonstration faite à la clinique Field Trip, à Toronto le 28 août 2020 de la manière dont les patients sont installés lors de l'administration de psychédéliques - Cole BURSTON [AFP/Archives]

Cette Canadienne de 60 ans a été diagnostiquée d'un cancer du sein en 2012. Malgré les traitements, la maladie est revenue cinq ans plus tard, se propageant dans ses poumons, ses os, son cerveau. Aujourd'hui elle se prépare à mourir et, pour faire face mentalement, elle consomme de la psilocybine, la substance psychoactive des champignons hallucinogènes prohibée dans les années 70.

"C'est la chose la plus utile que j'ai trouvée pour m'aider à accepter le fait que ma vie se termine plus tôt que je ne l'espérais", confie-t-elle à l'AFP. La psilocybine "ne change pas ma réalité. Cela m'aide à rester debout. J'aime ma vie et je ne veux pas mourir, mais je dois trouver un moyen de lâcher prise."

Mme Bird, qui vit dans la province de l'Ontario, fait partie de la trentaine de Canadiens, la plupart en fin de vie, à avoir reçu depuis août 2020 une autorisation du gouvernement fédéral pour utiliser légalement de la psilocybine dans un cadre thérapeutique. Leurs demandes ont été principalement portées par TheraPsil, une organisation à but non lucratif basée en Colombie-Britannique.

Ces exemptions ont été accordées alors que les drogues psychédéliques (psilocybine, LSD, DMT, mescaline) et d'autres substances altérant la conscience comme la MDMA (ecstasy) font l'objet d'un engouement.

Les recherches étudiant leur potentiel se multiplient, des acteurs commerciaux investissent dans le domaine et un mouvement de libéralisation émerge, à l'instar de l'Oregon qui a légalisé en novembre l'usage thérapeutique de la psilocybine.

Une "révolution" ?

Connus depuis des millénaires par les peuples indigènes, les psychédéliques ont intéressé les chercheurs occidentaux au milieu du siècle dernier mais les travaux ont été largement suspendus lorsque ces substances, devenues des symboles de la contre-culture, ont été prohibées.

Depuis une vingtaine d'années cependant, l'obstination de certains chercheurs, la crise de la santé mentale et les changements de mentalité autour du cannabis – dont l'usage récréatif est légal au Canada depuis 2018 – ont ouvert la voie à une "renaissance" des psychédéliques.

"Il y a aujourd'hui plus de personnes prêtes à regarder les faits plutôt que le poids politique que peuvent porter les psychédéliques", explique Rotem Petranker, directeur associé du programme de recherche sur les études psychédéliques de l'Université de Toronto, qui étudie les effets du microdosing sur l'humeur ou la créativité.

De Londres à Baltimore, les chercheurs étudient les bienfaits potentiels de ces substances contre la dépression, l'anxiété, le stress post-traumatique, les addictions (alcool, tabac, opiacés) ou l'anorexie.

Les essais cliniques les plus avancés portent sur la psilocybine pour la dépression majeure ou résistante aux traitements et la MDMA pour le stress post-traumatique.

Certains travaux indiquent des résultats prometteurs. Une étude récente de l'université Johns Hopkins – qui vient d'ouvrir un centre de recherche dédié aux psychédéliques – a montré que deux doses de psilocybine, accompagnées de psychothérapie, produisaient des effets "importants, rapides et prolongés" chez des personnes souffrant de dépression majeure.

Sur les 24 participants, 71% ont montré une réduction de plus de 50% des symptômes après quatre semaines et la moitié sont entrés en rémission, selon les chercheurs.

"On est en train de vivre une révolution de la psychiatrie", affirme à l'AFP Alexandre Lehmann, chercheur en neurosciences cognitives à l'université McGill de Montréal. "On trouve de nouvelles approches pour soulager et guérir des problèmes de santé mentale graves et invalidants, qui touchent un grand nombre de personnes, et pour lesquels on n'a pas de bonnes solutions actuellement."

Endormir l'ego

Depuis leur découverte dans les années 50, les traitements médicamenteux contre la dépression ont peu évolué. Les antidépresseurs conventionnels – qui ciblent notamment la sérotonine, un neurotransmetteur affectant l'humeur – sont critiqués pour leur lenteur d'action et leurs effets secondaires, incluant mutisme émotionnel et baisse de créativité.

Ils ont aussi une efficacité relative, explique Nisha Ravindran, psychiatre et chercheur à l'Université de Toronto.

"Nous savons que les antidépresseurs classiques ne permettent pas d'aider une large proportion de la population. Plus de 30% à 40% des personnes ne réagissent pas et ont besoin d'alternatives", dit-il.

Pour certains, les psychédéliques pourraient venir à la rescousse à travers un nouveau modèle de thérapie impliquant un nombre limité de doses mais une "expérience transformatrice" potentiellement capable d'agir sur les causes des problèmes.

Agissant sur les récepteurs de la sérotonine, les psychédéliques provoquent une altération profonde des perceptions et de la conscience. L'expérience est imprévisible. Chez certains, elle peut prendre une dimension mystique.

Si l'on ignore encore beaucoup de leur mécanisme d'action, des chercheurs pensent que les psychédéliques agiraient sur le réseau du mode par défaut du cerveau, associé aux pensées introspectives et aux ruminations, en "endormant temporairement l'ego", explique M. Lehmann.

Des études animales suggèrent qu'ils stimuleraient la plasticité cérébrale, favorisant notamment la réorganisation des connexions entre les réseaux de neurones, dit-il.

"La mort m'attendait tranquillement"

Avant l'exemption du gouvernement, Mme Bird avait déjà vécu deux expériences psychédéliques clandestines. Le cancer s'étant depuis propagé au cerveau, elle consomme aujourd'hui des microdoses.

Les expériences ont eu lieu chez elle, en compagnie d'un "guide". Elle a infusé un thé aux champignons hallucinogènes avant d'embarquer pour plusieurs heures intenses, proches d'un rêve éveillé, et dont il lui a fallu des mois d'analyse pour trouver du sens, dit-elle.

"La mort est apparue à plusieurs reprises mais ce n'était pas effrayant. Elle m'attendait tranquillement", dit-elle à propos de sa première expérience fin 2018.

"Ce n'était pas personnel, ce n'était pas comme si j'avais fait quelque chose pour provoquer cela, c'était l'idée que cela arrive à tout le monde, que la vie est un cadeau dont nous profitons pour un petit moment et que nous devons ensuite rendre. C'est devenu très clair pour moi."

Les psychédéliques ont une toxicité faible et ne sont généralement pas addictifs mais ils peuvent causer, notamment à fortes doses, des crises de paranoïa et d'anxiété. La MDMA, un dérivé des amphétamines, a un potentiel d'abus.

Mais en thérapie, avec des substances pures et bien dosées et dans un contexte supervisé, les "risques sont limités", affirme Mr. Lehmann. Ces substances rendent alors les patients plus sensibles à leurs émotions et leur permettent d'examiner leurs pensées sous un angle nouveau. "Les psychédéliques sont des catalyseurs de la psychothérapie", assure-t-il.

La kétamine controversée

Les promesses suscitées par les psychédéliques attirent depuis quelques années un nombre croissant d'acteurs commerciaux. Certains développent des traitements dérivés de ces substances. D'autres ouvrent déjà des cliniques proposant des "thérapies psychédéliques".

Plusieurs sont cotés en Bourse, notamment à Toronto et New York, qui abritent déjà de nombreuses entreprises de cannabis. La société britannique Compass Pathways, un des poids-lourds du secteur, est actuellement valorisée à plus de 1,3 milliard de dollars (1,1 md d'euros) sur le Nasdaq.

A Toronto, Field Trip Health est l'une de ces sociétés pariant sur les psychédéliques. Fondée en 2019, elle a déjà ouvert cinq cliniques au Canada et aux États-Unis et prévoit de construire un réseau de 75 cliniques en Amérique du Nord d'ici 2024.

"Les psychédéliques sont en train de devenir réalité", assure à l'AFP Ronan Levy, l'un des fondateurs.

Faute de psilocybine, la société utilise de la kétamine, un anesthésique dissociatif légal en usage médical. Utilisée en chirurgie depuis les années 1960, bien connue des clubbers, la kétamine provoque à faible dose une sensation de déconnexion entre le corps et l'esprit. Selon des études, elle peut soulager rapidement les symptômes dépressifs.

Murs végétaux, diffuseurs d'huiles essentielles, fauteuils confortables… Située dans un quartier branché, dans un loft avec vue sur la Tour CN, la clinique de Field Trip Health à Toronto a des allures de spa.

La clinique est notamment accessible à ceux dont la dépression résiste aux traitements, c'est-à-dire que les patients doivent avoir essayé au moins deux types de traitements conventionnels. Un traitement type – 4.700 dollars canadiens (3.000 euros) – comprend six administrations de kétamine et une dizaine de séances de psychothérapie.

Allongés sur un fauteuil "gravité zéro" pour une sensation de bien-être, masque sur les yeux et la musique dans les oreilles, les patients laissent fondre sous la langue une pastille de kétamine et se laissent transporter pour un "trip" d'une heure environ. Un thérapeute reste dans la pièce et discute ensuite avec les patients.

"C'était vraiment puissant. J'ai eu l'impression d'éclater en mille morceaux et d'être partout en même temps", explique Mathieu, 35 ans, qui a suivi un traitement en juin 2020. "Quand je redescendais, il y avait une fenêtre d'une heure où mes émotions étaient pures, ce que j'avais en tête sortait sans inquiétude, je n'avais plus de filtres."

Pas l'unanimité

Si la kétamine est prometteuse, notamment pour les situations graves, son utilisation en santé mentale ne fait pas l'unanimité.

Ses effets semblent limités dans le temps et ses critiques soulignent les risques de dépendance et de complications en cas de prises répétées. Il n'y a pas non plus de consensus sur l'intérêt d'y associer une psychothérapie.

Aux États-Unis, beaucoup s'inquiètent du boom des cliniques privées proposant de la kétamine en intraveineuse, sans suivi psychiatrique systématique. Un signe, selon Jeffrey Lieberman, psychiatre-en-chef du Centre médical de l'Université Columbia, que "la pratique va plus vite que la recherche".

Plus généralement, d'autres notent qu'il manque encore de preuves sur le fonctionnement et les bienfaits des psychédéliques et que les résultats des essais cliniques, de petite échelle, sont à prendre avec précaution.

Des chercheurs craignent également que l'engouement commercial actuel et l'enthousiasme des "évangélisateurs" créent des dérives et laissent croire que les psychédéliques sont une "pilule miracle," poussant certains à essayer seuls ou avec des substances de mauvaise qualité.

Au Canada, des médias rapportaient récemment le boom des demandes d'expériences underground et de l'utilisation de microdoses de psychédéliques pour le développement personnel ou pour tenir face à la pandémie de Covid-19.

Pour certains cependant, la kétamine permet de poser les bases de l'utilisation future des psychédéliques dont les plus enthousiastes voient les premiers traitements approuvés dans les prochaines années.

L'Agence américaine des médicaments (FDA) a déjà indiqué y être réceptive: elle a accordé depuis 2017 le statut de "percée thérapeutique" pour des essais sur la psilocybine et la MDMA.

Rompre les préjugés

Au Canada, pays pionnier de l'industrie du cannabis, la légalisation n'est pas encore d'actualité mais la ministre de la Santé Patty Hajdu s'est dite ouverte à faire "avancer la conversation" et à soutenir la recherche.

En plus des exemptions accordées aux patients, le gouvernement vient d'autoriser 19 professionnels de la santé à utiliser de la psilocybine pour comprendre les effets et se former.

Le pays a aussi annoncé son intention de rétablir l'accès aux drogues d'usage restreint, dont les psychédéliques, via son Programme d'accès spécial qui permet aux médecins de demander à utiliser des substances non approuvées à la vente pour des situations graves. Une consultation publique a pris fin mi-février.

Si la proposition est validée, le statut de ces substances ne changera pas et les demandes seront traitées au cas par cas mais l'accès à ces thérapies, pour certains patients et sous certaines conditions, pourrait être facilité.

De retour en Ontario, Andrea Bird dit avoir hésité avant de parler publiquement de ses expériences psychédéliques mais il est important, affirme-t-elle, d'aider à "rompre les préjugés".

"La raison pour laquelle j'utilise mon énergie qui est aujourd'hui si précieuse, c'est pour éclairer les gens sur cette option. Je n'ai jamais été aventureuse en matière de drogues mais cela m'a vraiment aidée jusqu'à présent. Alors, pourquoi le cacher ?"

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