La veille, à la fin du long résumé de la tentaculaire "affaire Karachi" par la Cour de justice de la République, l'ancien Premier ministre avait prévenu : "J'aurai beaucoup de choses à dire".
A la reprise de l'audience mercredi après-midi, il prend la parole à l'invitation du président, pendant près d'une demi-heure, pour nier toue responsabilité dans un système de rétrocommissions illégales liées à d'importants contrats d'armement avec l'Arabie saoudite et le Pakistan.
Dans cette affaire, mise au jour en marge de l'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002, "il n'est jamais question que de rumeurs", affirme calmement M. Balladur, droit dans son costume sombre, cravate pourpre.
L'ancien locataire de Matignon, 91 ans dont "57" au service de l'Etat, s'était lentement avancé vers le centre de la grande salle d'audience du palais de justice de Paris, où il comparait au côté de son ancien ministre de la Défense François Léotard, 78 ans.
Selon l'accusation, M. Balladur a été "le grand architecte", avec la complicité de M. Léotard, de ce système de financement occulte qui aurait servi à alimenter en partie ses comptes de campagne et qui a abouti en juin à des condamnations de leurs proches dans le volet non-ministériel du dossier.
"Ce dossier est fondé sur des approximations, des rapprochements, des coïncidences, des suppositions que rien n'atteste", balaie-t-il.
"Avec de tels procédés, on pourrait condamner n'importe qui", déclare M. Balladur, son masque posé à côté de ses notes sur le pupitre.
Face à l'ancien locataire de Matignon, trois magistrats professionnels et 12 parlementaires qui composent cette juridiction d'exception, seule habilitée à juger des ministres pour des actes commis pendant l'exercice de leurs fonctions.
M. Balladur décrit longuement cette affaire "hors du commun" par sa durée - "voilà plus de vingt-cinq ans que mon procès est ouvert dans l'opinion publique" -, et sa "violence" : "Rien ne m'aura été épargné", dit-il.
"Intérêt national"
Il rappelle que ses comptes de campagne ont été validés (in extremis) par le Conseil constitutionnel, malgré un versement litigieux de 10,25 millions de francs (environ 1,5 million d'euros), en liquide et en une fois, effectué trois jours après sa défaite au premier tour de la présidentielle.
"Des dons issus de collectes réalisées lors de meetings de campagne", soutient-il. Pour les enquêteurs, cette somme correspond plutôt à celle récupérée, quelques jours plus tôt à Genève, par l'intermédiaire libanais Ziad Takkiedine, condamné en juin dans le volet non-ministériel.
Mais dans les contrats d'armement, insiste M. Balladur, "mon seul rôle était de décider si leur signature était compatible avec l'intérêt national et la politique étrangère que nous menions", en lien avec le président de la République, François Mitterrand. "Je n'ai jamais donné la moindre instruction" concernant des commissions.
Dans un dossier mené par des juges d'instruction à "l'incompétence avérée", "on dit que je ne pouvais pas ne pas savoir (...) Aurais-je l'obligation de tout savoir et d'intervenir partout ?"
Il revient ensuite sur l'attentat de Karachi au Pakistan: c'est au cours de l'enquête sur cette attaque, dans laquelle 11 Français travaillant à la construction de sous-marins sont morts, qu'avaient émergé les soupçons de rétrocomissions.
L'enquête avait au départ privilégié la piste d'Al-Qaïda puis s'en était éloignée pour explorer les possibles liens - non étayés à ce jour - entre l'attaque et l'arrêt du versement des commissions après l'élection de Jacques Chirac. Cette enquête est toujours en cours.
"Plus personne ne doute de ma responsabilité", "c'est devenu une vérité historique", a regretté M. Balladur. "Vingt ans après cet attentat, la justice n'en sait toujours pas davantage sur ses causes et ses auteurs. C'est dramatique."
"Le financement de ma campagne n'a aucun lien avec l'attentat de Karachi", a-t-il insisté, répétant sa "confiance en la vérité" et "la justice".
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