Régulièrement, ils troquent leur sac à dos contre une boîte à outils. Sécateur, scie, brosse, sans oublier les incontournables peintures blanche et rouge… Les baliseurs de la Fédération française de randonnée (FFR) sont les premières vigies des itinéraires de grande randonnée, comme le GR21, qui relie Le Havre au Tréport. Dans tout le département de la Seine-Maritime, ils sont 200 à entretenir ce patrimoine naturel. "On vérifie que des broussailles n'empiètent pas sur les balises, que les marches ne sont pas détériorées… Si un marquage est un peu passé, on le repeint", détaille Yvonne Montier, en charge du tronçon entre Vaucottes et Etretat et par ailleurs présidente du comité départemental de la FFR. "Les marquages ne sont que la partie émergée de l'iceberg, souligne Benoît, son époux, également baliseur. Il faut d'abord avoir le droit de passage, savoir si on est sur une parcelle privée ou publique, faire des démarches pour pouvoir baliser." Un important travail administratif est donc mené par la commission sentiers de l'association, qui fait le lien avec le Département, les intercommunalités et syndicats mixtes, les agriculteurs… Avec un objectif, sur le GR21 : favoriser au maximum la vue sur mer, tout en assurant la sécurité. Un vrai challenge, sur un littoral soumis aux aléas du réchauffement climatique et aux éboulements, comme dernièrement à Yport ou l'an passé au Cap Fagnet, à Fécamp. "Les falaises sont fragiles, confirme Yvonne Montier. En cas d'éboulement il faut déterminer en urgence une déviation, c'est un énorme travail."
Entre Etretat et Bénouville,
300 passages par jour en moyenne
De longues années sont ensuite nécessaires pour réaménager un nouvel itinéraire proche de la mer. Interdit d'accès depuis plus de dix ans, le sentier qui amène à la valleuse du Curé, à Bénouville, a ainsi rouvert l'été dernier au public grâce à un aménagement financé par le Département et l'Etat, à hauteur de 48 600€ pour 3,5km. Les démarches ont été entamées en 2018, pour aboutir en 2023. "Grâce à un nouveau passage dans les pâtures, négocié avec les agriculteurs, le sentier s'est rapproché de la côte. Auparavant, il fallait faire un détour par la campagne pour rejoindre la valleuse d'Etigues, sur la commune des Loges", détaille Yvonne Montier, tout en enjambant l'une des passes aménagées pour permettre aux randonneurs de circuler dans les champs.
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Le tronçon entre Le Tilleul et Le Havre, en revanche, passe toujours dans les terres, traversant Gonneville-la-Mallet, Turretot et Montivilliers avant de ramener vers la cité Océane. En ce début de printemps, peu de marcheurs sont présents. Mais en 2023, ils étaient 300 par jour, en moyenne, à passer devant l'aiguille de Belval pour rallier Etretat depuis Bénouville. Une "horde de touristes" que les baliseurs interpellent parfois. "Cette activité est aussi une façon pédagogique de parler avec les gens sur le terrain. On nous demande ce que l'on fait, on nous signale un problème sur le sentier…" Mais face à des équilibristes déterminés à capturer un selfie sur les falaises, il est parfois complexe de lutter.
Informer les visiteurs est un enjeu.
Voilà un an que la commune d'Etretat, avec le soutien du Département et du syndicat mixte Grand Site Falaises d'Etretat, a mis en place un aménagement temporaire sur la falaise d'Aval. Ces piquets reliés par des filins et ponctués d'écriteaux ne sont guère esthétiques, mais ils permettent de baliser la promenade.
L'herbe repousse
Par endroits, l'herbe réapparaît, là où il n'y avait plus que de la terre à force de piétinements. "La nature a en partie repris ses droits, même s'il faut reconnaître que la météo pluvieuse de l'été dernier a impacté la fréquentation touristique et favorisé la repousse, note Florence Thibaudeau-Rainot, présidente du Grand Site. Ces aménagements seront encore en place cette saison, puis le réaménagement du site se fera après une étude réalisée par la mairie d'Etretat." La commune, maître d'ouvrage sur la falaise, est accompagnée pour rédiger un marché qui respecte les préconisations de l'Etat et de l'Europe pour ce site classé. Il s'agit, notamment, de bénéficier de financements.
Des panneaux pédagogiques
Le Grand Site a développé de nouveaux panneaux d'information sur les comportements à éviter, via des saynètes dessinées. Un travail de veille est également réalisé sur le web, pour traquer les communications qui présentent des conduites à risque, comme les selfies en bord de falaise. "Nous entrons en contact pour expliquer les risques, faire enlever les photos et accompagner vers une autre communication en cohérence avec le territoire", précise Estelle Clément, directrice du Grand Site.
Une brigade de gardes champêtres va être expérimentée sur cinq communes de la Côte d'Albâtre, à Bordeaux-Saint-Clair, Le Tilleul, La Poterie, Etretat et Bénouville. Des agents assermentés qui auront pour rôle de prévenir les comportements à risque et atteintes à l'environnement, notamment sur le GR21.
Parmi les très nombreux acteurs qui gravitent autour du GR21, il y a le syndicat mixte Grand Site Falaises d'Etretat - Côte d'Albâtre, qui s'étend sur treize communes (Bénouville, Bordeaux-Saint-Clair, Criquebeuf-en-Caux, Etretat, Fécamp, Froberville, La Poterie-Cap-d'Antifer, Les Loges, Le Tilleul, Saint-Jouin-Bruneval, Saint-Léonard, Vattetot-sur-Mer et Yport). "L'une des démarches de l'opération Grand Site est de protéger le paysage et de sortir du 'tout bagnole'. La randonnée est bien sûr l'une des solutions alternatives", souligne Florence Thibaudeau-Rainot, présidente du syndicat mixte et vice-présidente du Département. "L'un des enjeux est de restaurer la totalité du sentier sur l'emprise du Grand Site, mais il y a encore à faire, notamment entre Vattetot et Fécamp et La Poterie et Saint-Jouin", poursuit l'élue.
Des agents assermentés
Outre les relations avec les agriculteurs sur ce territoire qui comprend 80% de terres agricoles, la sécurité est elle aussi un élément majeur, face aux comportements à risque, sur des falaises fragiles. "Il faut des moyens humains pour faire de la prévention. Une brigade de gardes champêtres va être expérimentée, avec deux gardes à temps plein sur cinq communes : Bordeaux-Saint-Clair, Le Tilleul, La Poterie, Etretat et Bénouville. Il fallait une continuité territoriale", annonce Florence Thibaudeau-Rainot. Cette brigade pluri-communale bénéficiera d'un temps de travail annualisé, qui permettra aux agents d'accentuer leur présence sur le terrain lors des périodes de fortes fréquentations (d'avril à octobre). Le maire de Bénouville, Jean-Pierre Leduc, fait partie de ceux qui militent "depuis des lustres" pour une solution de ce type. "Cela semblait obligatoire, vu le taux de fréquentation. On sait bien que les gens réagissent mieux face à un uniforme que face à une personne en civil. Les agents seront assermentés, en capacité de verbaliser, y compris sur les routes départementales", détaille l'édile, agacé notamment par certains camping-caristes qui ignorent les interdictions de stationnement ou par la dernière tendance des trottinettes électriques tout terrain, pourtant interdites sur le GR21. "Je suis un peu fatigué de courir après les gens qui ne respectent pas l'environnement. Il n'y a aucun problème avec les vrais randonneurs, qui respectent les consignes. C'est plus compliqué avec les visiteurs occasionnels."
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Chacun des cinq maires concernés aura autorité sur les gardes champêtres lorsqu'ils seront en patrouille sur leur commune. Les agents seront complémentaires à d'autres acteurs, comme la gendarmerie (notamment la brigade à cheval déployée sur Etretat), la police municipale ou encore les gardes du littoral. Les démarches administratives sont en cours pour concrétiser l'arrivée des gardes champêtres, espérés pour l'été prochain. Le financement est porté par les communes, mais "le Grand Site prendra sa part", assure Florence Thibaudeau-Rainot. "Ce dispositif a fait ses preuves sur d'autres Grands Sites, comme dans le massif du Canigou, dans les Pyrénées Orientales".
L'aménagement du GR21 est complexe.
C'est l'un des enjeux, en Seine-Maritime comme ailleurs : obtenir un droit de passage pour randonner au plus près du littoral. Les terres agricoles représentent 80% du futur Grand Site Falaises d'Etretat - Côte d'Albâtre, qui s'étend sur treize communes autour de la cité de Maurice Leblanc.
"Cela habitue
les vaches à voir du monde"
Si les négociations sont longues, elles aboutissent parfois à des réalisations réussies. Sur le tronçon Les Loges - Bénouville, le Département et l'Etat ont ainsi financé l'installation de barrières pour permettre de traverser les pâtures. Une solution qui permet aux exploitants agricoles, comme Francis Lethuillier, de ne pas perdre de surface. "C'est concluant. Auparavant, la plupart des randonneurs passaient tout au bord de falaise. Ils sont moins nombreux à le faire maintenant, note cet agriculteur installé en polyculture-élevage, par ailleurs conseiller municipal à Bénouville. Cela habitue les génisses à voir du monde, j'ai presque l'impression que cela les apaise ! A condition que les gens tiennent leurs chiens en laisse." Chez un de ses voisins, la clôture a été reculée, "mais il est autorisé à exploiter le foin sur la bordure, sans quoi il perdait 1,5 hectare de surface sur toute la longueur du sentier". Ces négociations comportent aussi un volet juridique : le Département s'est engagé à prendre la responsabilité en cas d'accident avec un promeneur.
Moins fréquenté que la côte d'Albâtre et son GR21, le territoire de Caux Seine tente de se distinguer par son offre de randonnée. Il sera traversé, en avril, par la Grande Randonnée vers Paris dans le cadre des Jeux olympiques.
"Nous n'avons ni l'aiguille d'Etretat, ni les plages de Deauville, ni le Mont Saint-Michel, mais on mise sur une offre de randonnée haut de gamme", sourit Bastien Coriton. Le maire de Rives-en-Seine est également président de Caux Seine Normandie Tourisme qui, depuis quelques années, fait le pari du tourisme vert. "Historiquement, le territoire avait plutôt une image industrielle. Aujourd'hui, il compte 1 000km de sentiers dédiés à la randonnée pédestre, équestre ou cyclable", poursuit l'élu.
La Grande Randonnée vers Paris
En 2021, le bureau de l'office de tourisme de Caudebec-en-Caux est d'ailleurs devenu la Maison de la rando et du trail, une discipline pour laquelle le territoire est reconnu nationalement. A Villequier, des toilettes et une douche ont été installés pour accueillir ce public plus sportif. "On profite en quelque sorte de la surfréquentation sur la côte d'Albâtre pour offrir quelque chose de plus tranquille, avec une qualité des paysages équivalente. Entre la vallée de la Seine, les collines et les côteaux, il y a des endroits assez magiques." Pour s'assurer de la qualité des sentiers, des signaleurs bénévoles sont mobilisés pour parcourir les chemins et signaler toute anomalie : arbre sur la voie, passage fermé… "Tous nos chemins font l'objet d'une liberté de circulation totale, par le biais de conventions", assure Bastien Coriton. Ce territoire est par ailleurs traversé par le GR2, qui part de la source de la Seine, près de Dijon, et arrive au Havre. Un tronçon qu'a choisi de valoriser la Fédération française de randonnée (FFR) à l'occasion des Jeux olympiques, à travers "la Grande Randonnée vers Paris". Dans chaque région, des ambassadeurs réaliseront la totalité du parcours, jusqu'à la capitale. Le public est invité à se joindre à eux sur quelques kilomètres. "En Seine-Maritime, le départ est fixé mardi 16 avril au Havre et l'arrivée mardi 23 avril à Les-Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen. Le parcours de 150km se fera en huit étapes, qui passeront par les hauteurs du Havre, le parc de la Vallée du Telhuet à Port-Jérôme, les bords de Seine à Caudebec, l'abbaye de Saint-Martin-de-Boscherville, Rouen…", énumère Yvonne Montier, présidente du comité départemental de la FFR. Une opportunité pour Caux Seine Normandie Tourisme de valoriser ses atouts, souligne Bastien Coriton. "C'est un beau coup de projecteur puisque le nombre de participants devrait être important. Le tourisme, ce sont aussi des retombées économiques qui font vivre le territoire."
Pratique. Grande randonnée vers Paris, huit étapes en Seine-Maritime, du 16 au 23 avril. Plus d'infos sur seine-maritime.ffrandonnee.fr.
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