De la bière, "rares sont ceux qui en boivent encore. En tout cas, pas nous, les pauvres", poursuit ce retraité qui assiste à une procession de la Vierge au son des guitares, dans cette région montagneuse semi-aride où pousse cette plante (Agave cocui Trelease), cousine de celles qui donnent le mezcal et la tequila au Mexique.
Au Venezuela, pays secoué par une profonde crise où le FMI prévoit une inflation de 200.000% cette année, Nelson Vargas et nombre de ses compatriotes ont tiré un trait sur le whisky, la bière ou le rhum, trop chers, et se tourner vers des boissons locales et plus accessibles, comme le cocuy.
Avec toute sa pension de retraite équivalente à trois dollars mensuels, il pourrait à peine se payer deux bières, quand la bouteille de cocuy à 50 degrés est vendue environ 2 dollars.
Chapeau beige, chemise bleue à carreaux et large sourire édenté, Dolores Giménez, 84 ans, est une figure de Bobaré. Ce producteur de cocuy a débuté dans le métier à l'âge de 7 ans, lorsque cet alcool était distillé clandestinement.
"Si les policiers t'arrêtaient avec du cocuy, tu allais en prison, ou ils te cassaient ton alambic", se souvient ce grand-père volubile, qui dit avoir 25 enfants et 103 petits-enfants.
La consommation de spiritueux au Venezuela va chuter de 34% cette année, selon les chiffres du cabinet londonien Wine and Spirit Research (IWSR), après une baisse semblable (-37%) en 2018.
Même tendance pour la bière, avec un recul de 39% en 2018, selon IWSR, qui évalue la consommation d'alcool distillé à 2,5 litres par an, par habitant au Venezuela, contre 3,2 litres en Colombie et 5,7 au Brésil.
- Alcool frelaté -
"Les consommateurs sont en train de migrer des boissons traditionnelles, comme la bière ou le rhum, vers des spiritueux moins chers comme des liqueurs à base de rhum ou des eaux-de-vie", décrypte Carlos Salazar, président de la Chambre des spiritueux de Caracas, dont les ventes dans la seule capitale ont plongé de 50% cette année.
Alors qu'en 1998, un salaire minimum permettait d'acheter 46 caisses de bières, il faut désormais plus de cinq salaires minimum pour en acquérir une seule, indiquent les professionnels du secteur.
Mais chercher l'ivresse à faible coût peut avoir des conséquences fatales: faute de chiffres officiels disponibles, un décompte effectué dans les médias vénézuéliens en 2019 permet d'attribuer une trentaine de décès à la consommation d'alcool frelaté.
Il est loin le temps de l'omniprésent whisky importé, associé au boom pétrolier vénézuélien, à partir des années 1940.
Sa consommation s'est ensuite envolée avec l'arrivée des grandes multinationales anglo-saxonnes à Maracaibo (ouest). Et à mesure que le prix du baril grimpait, les whiskies d'Ecosse ou d'Irlande se convertissaient en symboles de statut social, indispensables lors des grandes célébrations.
Il y a encore une quinzaine d'années "dans les soirées, on servait du bon whisky. Du 12 ans (d'âge), c'était considéré comme du mauvais. Boire du rhum, c'était la honte", se souvient Gabriela Fernandez, 49 ans, qui tient un stand de nourriture à Maracaibo. Autrefois riche ville pétrolière, la cité est aujourd'hui à l'arrêt, frappée de plein fouet par la crise du secteur de l'or noir vénézuélien.
Entre 2013 et 2018, la consommation de whisky au Venezuela a dégringolé de 43%, selon IWSR.
Dans un appartement de Caracas, Mayerlin et Karen mélangent de l'eau-de-vie, du jus de corossol, un fruit exotique, et beaucoup de sucre pour faire de la guarapa, une boisson bon marché (vendue l'équivalent de 3 dollars) qui fait fureur dans les quartiers populaires.
"La plus grande difficulté c'est la concurrence. Beaucoup de gens en fabriquent. Et la méfiance" à cause des cas d'alcool frelaté, explique Karen Rivas, 30 ans.
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