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[Enquête]. Cancers féminins : Caen, une terre d'innovation

Santé. Dans le cadre de la recherche dans le traitement des cancers féminins, la Ville de Caen peut compter sur un vivier de chercheurs spécialisés. Mais ces avancées dans la recherche ne sont pas sans limite. Enquête.

[Enquête]. Cancers féminins : Caen, une terre d'innovation
En 2021, le centre François Baclesse à Caen comptait quelque 746 patients inclus dans des protocoles de recherche interventionnelle.

Une nouvelle vague rose va s'emparer de la ville de Caen samedi 4 juin. La mythique Rochambelle fait son retour, avec 5 000 participantes. Depuis 2006, cette course a permis de récolter plus d'1,4 million d'euros au profit de la lutte contre les cancers féminins et 90 000 € en 2021. Cet argent a aidé à financer cinq projets locaux lancés par le centre François Baclesse, le CHU de Caen et la Polyclinique du Parc. Dans la salle de culture Orgapred de l'Université de Caen, hébergée au centre François Baclesse, les tubes à essai, microscopes et autres outils de mesure que le grand public ignore sont disposés sur le plan de travail. Les équipes de Laurent Poulain, chercheur responsable de la plateforme, ont la tête en surchauffe pour trouver de nouveaux traitements contre la maladie. On parle ici des cancers du sein, de l'ovaire et des cancers ORL. Une partie de leur travail consiste "à récupérer des tumeurs chez des patients qui vont subir une chirurgie pour les analyser". Cela grâce à un robot de culture d'une valeur d'environ 350 000 euros, financé par la Région. L'hôpital est le premier en France à avoir automatisé ce processus.

Des technologies rares en France

"On crée des organoïdes, que l'on appelle aussi micro-tumeurs, qui sont ensuite reproduits pour tester de nouveaux traitements pour orienter la décision thérapeutique", explique Laurent Poulain. De sa mise en place jusqu'en mai 2022, une centaine de prélèvements ont été effectués. "Il y a des tumeurs plus difficiles à traiter que d'autres. Cela permettrait d'ajuster au mieux le traitement et d'éviter ou retarder la récidive." Puisqu'en effet, l'objectif ultime est de personnaliser le traitement à chaque patiente. "On ne peut pas avoir pour une patiente le même schéma que la voisine, ajoute Roman Rouzier, directeur scientifique au centre François Baclesse. Il faut savoir s'adapter, aussi bien en prévention qu'en traitement des séquelles." Pour aider à la recherche, la Ville de Caen dispose aussi d'un centre de protonthérapie au centre Cyclhad, depuis 2018. Situé non loin du Ganil, dans le quartier du Citis, il est l'un des trois centres existants en France, avec Nice et Orsay, contre 170 centres de radiothérapie. La protonthérapie ne remplace pas la radiothérapie, elle la complète. Il s'agit d'une technique d'irradiation de la maladie qui peut s'appuyer sur l'utilisation de faisceaux de protons, sans traverser les tissus. Une première étape avant l'hadronthérapie (recherches en ions carbone) qui devrait voir le jour en 2024, pour la première fois sur le territoire français. Là encore, Caen se distingue en matière de recherche sur le cancer. Les équipements innovants participent à cette réussite. Datexim en est un autre exemple. Cette start-up a développé un outil qui intervient en amont d'un cancer de l'utérus chez les femmes à risque. Lors d'un frottis chez la femme, le prélèvement est analysé par intelligence artificielle. "Avant, cela était observé par microscope. Grâce à cet outil, le pathologiste peut voir en un coup d'œil s'il y a un problème dans les cellules de la patiente." Parce qu'il n'est pas question d'oublier les cerveaux dans la recherche.

En chiffres

Caen. En chiffres
Plus de 27 000 patients ont été pris en charge au centre François Baclesse en 2021.

Découvrez les chiffres clés de l'enquête de Tendance Ouest sur la recherche dans les cancers féminins à Caen.

150

Au centre François Baclesse, spécialisé dans la lutte contre le cancer et expert en cancérologie depuis plus de vingt ans, 150 médecins et chercheurs font de la recherche clinique afin de trouver de nouvelles stratégies thérapeutiques pour les patients.

54 %

C'est le taux de participation aux opérations de dépistage du cancer du sein à Caen, organisées par le Centre régional de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Ce chiffre ne comprend pas les dépistages individuels réalisés sur prescription par le médecin traitant ou le gynécologue. Au niveau départemental, ce taux de participation est de plus de 56 %. Même chose pour le dépistage du cancer de l'utérus au niveau régional.

83 000

En octobre 2021, lors du mois de promotion du dépistage du cancer du sein, l'antenne du Calvados de la Ligue contre le cancer a collecté 83 000 €. Une somme qui provient de dons sur différentes manifestations (19 événements en 2021), de partenariats et de vente de goodies.

50

La santé est un axe majeur de la politique régionale. En 2018, la Région Normandie a investi 50 millions d'euros en faveur de la recherche et de l'innovation dans le cadre du Schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (SRESRI). Le centre de protonthérapie de Caen en a bénéficié.

Pourquoi Caen attire-t-elle les chercheurs ?

Caen. Pourquoi Caen attire-t-elle les chercheurs ?
Au centre François Baclesse, 150 médecins et chercheurs font de la recherche dans les cancers.

Le cancer du sein est celui qui cause le plus de décès chez la femme en France. À Caen, il existe un vivier de chercheurs spécialistes des cancers féminins depuis plus de trente ans. Qu'est-ce qui les attire ? Éléments de réponse.

La Région Normandie ne se prive pas de dire qu'elle est la "première région française sur la recherche interventionnelle sur le cancer". Cette distinction repose notamment sur deux centres spécialisés de haute qualité : Henri Becquerel à Rouen et François Baclesse à Caen. À Caen, l'histoire a débuté en 1923, lorsque l'hôpital Baclesse est né sur le site de Clemenceau. Selon un classement Newsweek de 2020 et 2021, ce centre spécialisé dans le traitement des cancers - pas uniquement féminins - fait partie des 100 meilleurs hôpitaux du monde spécialisé en cancérologie. Outre l'outil technique de renommée et les nombreuses innovations (lire par ailleurs), tout part aussi d'une volonté politique. En 1996, Anne d'Ornano s'est engagée dans la mise en place d'une première campagne de dépistage du cancer de l'utérus. L'ancienne infirmière n'a pas attendu que le Président Chirac accélère cette politique de dépistage en 2006. L'ancienne maire de Dauville a aussi prouvé son engagement en étant à la tête de l'association caennaise Mathilde, qui œuvre pour la prévention du cancer du sein. "Les progrès et techniques médicales ont été pris très au sérieux par Anne d'Ornano", se souvient Marie-Christine Quertier, médecin directeur du centre de coordination régional d'oncologie.

Un vivier de chercheurs passionnés

"La Région Normandie considère que cela fait partie des choses sur lesquelles on se différencie. Il y a des thématiques sur lesquelles Caen ne sera jamais pertinent, comme la luminothérapie par exemple", ajoute Roman Rouzier, chirurgien et directeur scientifique du centre François Baclesse. La spécificité de Caen en matière de cancérologie est une histoire de longue date. Les collectivités et les entreprises privées font le choix d'investir dans la recherche dans des domaines bien précis : l'avant-cancer. Avec un but bien précis : faire de la médecine de demain une médecine personnalisée. Mélanie Dos Santos, responsable de l'unité d'hospitalisation spécialisée en recherche clinique à Baclesse, évoque "une dynamique locale". À l'image de Datexim, société qui a déjà collaboré avec l'hôpital de Cherbourg et le CHU de Caen. À Laurent Poulain, de la plateforme d'Orgapred, d'abonder. "Baclesse ne doit pas être isolé. On travaille main dans la main avec l'université, l'ENSI Caen, le CHU. Il y a une vraie collaboration." Cette réussite repose également sur un vivier de chercheurs passionnés. "On n'invente pas un laboratoire. J'hésitais entre Nancy et Caen. L'aspect de la recherche m'a motivé à venir ici", admet Roman Rouzier, qui lui-même a été transféré de l'Institut Curie de Saint-Cloud au centre Baclesse en février 2022. "On fait des choses que les autres ne font pas", justifie-t-il, quand on lui demande ce que Caen a de plus que les autres.

Pour Laurent Henault, directeur général de Datexim, leur implantation est liée à une zone de chalandise favorable. Aucune autre société privée n'est spécialisée dans ce domaine à Caen. "Ce qui nous 'drive' pour faire de la recherche, c'est le besoin médical", conclut Roman Rouzier, du centre François Baclesse. Avec l'objectif, de toujours faire mieux.

La recherche progresse, mais il faut du temps et de l'argent

Caen. La recherche progresse, mais il faut du temps et de l'argent
Comme dans de nombreux domaines, la recherche pour les cancers féminins est en manque de bras et de moyens financiers.

Si la recherche sur les cancers féminins à Caen est l'une des plus développée de France, elle manque encore de bras et de moyens financiers. Analyse.

Près de 3 000 patientes sont prises en charge par an au centre François Baclesse de Caen pour un cancer du sein ou de l'utérus. En 2020, l'hôpital a une nouvelle fois été labellisé sur la scène internationale via le label "Comprehensive Cancer Centre".

"On est des chercheurs d'or"

Il offre la possibilité de développer de nouveaux projets de recherche au profit des patientes. Car l'objectif, in fine, est de réduire les délais de prise en charge. "Aujourd'hui, on y répond entre trois et huit semaines. Pour certains types de cancers, c'est trop long", analyse Laurent Poulain, de la plateforme Orgapred, spécialiste dans les cancers de l'ovaire. La recherche prend évidemment du temps. C'est d'ailleurs tout le nerf de la guerre. "On est des chercheurs d'or. On passe trop de temps à chercher des moyens financiers plutôt qu'à faire de la science. Si on avait plus de moyens et de bras, on irait plus vite", poursuit-il.

Pourtant, les collectivités apportent leur aide. Par exemple, pour la plateforme Orgapred, la Région a apporté un soutien d'1,5 million d'euros en 2020 et 2021, sans compter l'appui d'associations nationales, comme la Fondation de l'avenir. La société Datexim est aussi face à quelques limites. "La réglementation dans le domaine médical est indispensable, mais c'est une grande limite à l'innovation, explique Laurent Henault. Développer des concepts comme les nôtres nécessite des budgets extrêmement importants."

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