[Enquête] Rouen. Esport, du canapé à la compétition

Sports. Il se démocratise d'année en année, l'esport, ou le jeu vidéo compétitif, commence à se faire une place à Rouen, où les équipes se structurent voir se professionnalisent.

Publié le 27/04/2022 à 09h00 - Par Alexandre Leno

[Enquête] Rouen. Esport, du canapé à la compétition — L'esport se développe à Rouen grâce à plusieurs équipes et structures qui tentent de se profesionnaliser

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Oubliez l'image d'Épinal du joueur asocial affalé dans son canapé. Aujourd'hui, les passionnés de jeu vidéo se structurent voire se professionnalisent. C'est la dynamique créée depuis quelques années par l'esport, c'est-à-dire le jeu vidéo compétitif. Dans l'Hexagone, la discipline représente près de 9,5 millions de pratiquants et de consommateurs selon le baromètre France Esport 2021. Rouen possède, elle aussi, quelques ambassadeurs de la compétition vidéo ludique, telle que BH3-Esport, installée à Mont-Saint-Aignan. L'équipe a une dizaine d'années d'existence et compte aujourd'hui une vingtaine de joueurs. Elle n'a pas atteint le niveau professionnel mais possède quelques atouts, comme le jeune joueur Nicolas Zamini alias Silverbladez. À 18 ans, il a réussi à se hisser dans le haut niveau européen sur le jeu de combat Dragon Ball FighterZ. "Là, on a pour projet de l'envoyer sur une grosse compétition à Las Vegas. Il a vraiment le niveau pour performer et cet événement pourrait lui permettre d'avoir des débouchés dans le monde de l'esport professionnel", explique Manon Guerini, responsable de la communication à BH3-Esport.

Des circuits compétitifs

Tout comme le sport conventionnel, l'esport a ses propres circuits compétitifs. D'ailleurs, la structure rouennaise a d'autres grandes ambitions pour son équipe sur League Of Legends, un jeu coopératif de bataille en ligne, très populaire. "On participe au circuit de l'Open tour France, et on a la volonté d'intégrer la division 2", précise Manon Guerini, qui espère mettre un pied dans le monde semi-professionnel. À partir de là, les structures ont l'obligation de rémunérer leurs joueurs. Et dans le très haut niveau, les victoires peuvent être particulièrement lucratives. Avec la LCS, le circuit américain, où s'affrontent les meilleurs joueurs du monde, le cash prize (lire lexique du gamer) peut atteindre plusieurs millions de dollars par tournoi.

Entrainement et hygiène de vie

Qui dit sport dit aussi entraînement rigoureux. "Dans notre staff, on a un coach qui est là pour analyser les parties et les performances de nos joueurs a posteriori et voir avec eux comment améliorer leur jeu." L'aspect psychologique, lui, est confié au coach mental. "Il est là pour améliorer l'état d'esprit des joueurs mais aussi pour être attentif à leur hygiène de vie." Etre un joueur esport ne veut pas dire passer son temps à jouer en effet. Il faut prendre le temps de se reposer et de respecter son sommeil. L'équipe rouennaise met aussi un point d'honneur à ce qu'il n'y ait pas de décrochage scolaire parmi ses jeunes joueurs.

Malgré l'engouement, il n'existe, pour l'heure, qu'une centaine de joueurs professionnels en France. "Maintenant, on peut vivre du jeu vidéo mais pas forcément en tant que joueurs professionnels. Comme dans tous les sports de haut niveau, il n'y en a que quelques-uns qui y arrivent", explique Aimé Kombo, agent de développement de la section esport de l'ASPTT Rouen.

"L'esport, c'est un sport pour les doigts"

Pendant les vacances scolaires, l'ASPTT organise des stages de création de jeux vidéo pour les enfants, au cours desquels ces derniers découvrent les métiers bien réels autour de ce monde virtuel.

Entrez dans le labyrinthe de Lily Carron-Griveaux. A 10 ans, la Rouennaise crée son premier jeu vidéo avec ses propres cartes, ses personnages, ses mondes. Devant son clavier multicolore et son écran, la petite fille pianote comme elle le ferait sur son clavecin. "Ça m'aide, je peux taper plus vite. L'esport, c'est un sport pour les doigts", résume Lily. Mais là, "je fais de la RPG Maker", précise-t-elle. Pendant une semaine, la petite fille et son grand frère Emmanuel apprennent à utiliser ce logiciel de création de jeux vidéo à la Gaming House de l'ASPTT, la fédération sportive historique de Rouen. Ils sont dix jeunes, âgés entre 10 et 15 ans, à suivre ce stage. "C'est quand même mieux de jouer avec ses amis que de rester seul chez soi à faire du jeu vidéo 24 h/24, il faut prendre l'air !" reconnaît le jeune garçon.

Rassurer les parents et les enfants

"On veut développer chez les enfants l'attrait pour les métiers liés aux jeux vidéo", explique Gatien Gilles, agent de développement de la section esport de l'ASPTT. "L'enfant développe sa créativité et sa technicité, puisqu'il doit vérifier que son jeu fonctionne." Et, pourquoi pas, faire naître des vocations. "Ils apprennent la scénarisation, la création graphique, l'équilibrage de jeu..." énumère Gatien Gilles. Des compétences utiles pour devenir développeur web ou informaticien.

Aimé Kombo a fait de sa passion un métier. En véritable fan de Super Smash Bros, il organise les tournois et les événements de l'ASPTT. "J'en avais marre de battre mes frères et mes sœurs", s'amuse l'homme de 29 ans. La section e-sport existe depuis deux ans à l'ASPTT. Au-delà de son équipe de joueurs (lire par ailleurs), l'association promeut la pratique du jeu vidéo encadrée. L'association sportive a un partenariat avec la Ville et accompagne les enfants d'une école rouennaise à chaque trimestre sur les temps périscolaires. Ces temps permettent de discuter avec les enfants de leur pratique du jeu vidéo. "Certains jouent à des jeux PEGI 16 ou PEGI 18. En discutant avec eux, on se rend compte que ces jeux les choquent." Gatien Gilles conseille aux parents de "s'intéresser à la pratique de leurs enfants, sinon, c'est lui qui va dicter ses propres règles".

L'e-sport déconseillé au moins de 10 ans

En dessous de l'âge de 10 ans, l'encadrant déconseille la pratique de l'esport : "Ça doit rester un loisir et être inclus dans le temps d'écran, avec le téléphone ou la télé. A cet âge, on veut devenir joueur ou influenceur. Seuls trois ou quatre joueurs professionnels français arrivent à en vivre." Même si Lily et Emmanuel ont d'autres ambitions, Emmanuel, lui, regarde des vidéos sur Internet, Twitch étant la plateforme privilégiée par les gamers. Comme lui, près de 8 millions d'internautes français de 15 ans et plus regardent ou pratiquent l'esport, selon le dernier baromètre de France esport. En revanche, personne n'est trop vieux pour commencer. La Ligue Silver Geek organise des tournois sur la console Wii dans des maisons de retraite en France.

Des tournois régulièrement organisés à Rouen

Des tournois d'esport sont régulièrement organisés à Rouen. Avec, à la clé, quelques sommes rondelettes à rapporter.

Des événements d'esport sont organisés ou retransmis régulièrement à Rouen. L'an passé, la Ville a lancé le Game'in Rouen avec 1 000 euros de cash prize autour du jeu Rocket League. La collectivité réfléchit d'ailleurs à l'organisation d'une nouvelle édition. La section esport de l'ASPTT Rouen, elle, produit ses propres tournois. Chaque vendredi, le club propose des compétitions autour du jeu Super Smash Bros (lire lexique du gamer).

"J'y suis tous les vendredis et généralement je gagne"

Parmi ces joueurs, Raphaël Félicité, alias Raphro, est ce qu'on appelle un joueur semi-pro. Il ne manque jamais un tournoi à l'ASPTT. C'est l'occasion pour lui de se faire un peu d'argent. "J'y suis tous les vendredis soir, et généralement je gagne", s'amuse le joueur. Ici, l'inscription est de 10 euros, la moitié revient aux joueurs et l'autre à l'organisation : "Ça s'accumule, plus il y a de joueurs inscrits, plus il y a de cash prize… il y a un engouement autour du jeu en ce moment et c'est génial", s'enthousiasme Raphaël Félicité.

Le Rouennais a terminé à la 69^e place du classement la saison dernière sur Super smash Bros parmi plus 420 joueurs français. Dans l'esport, pour être le meilleur, il faut se contenter d'un seul jeu, selon Raphro. "C'est comme le sport conventionnel, un très bon joueur de foot ne va pas être forcément excellent en basket, par exemple."

Lexique du gamer

Cash Prize, PEGI, Twitch mais kesako ? Le lexique de notre enquête pour mieux comprendre le monde du esport.

Cash Prize

C'est la somme d'argent remportée lors de compétition dans le esport. Ces compétitions permettent aux joueurs d'intégrer un classement général selon leur jeu de prédilection. Trois Rouennais de l'équipe de l'ASPTT font partie d'un classement général des meilleurs joueurs de France à Super Smash Bros. Ce "ranking" est composé de près de 1 100 joueurs.

Super Smash Bros

Super Smash Bros est un jeu de combat entre les personnages de la franchise Nintendo : Mario, le plombier et sa salopette bleue, la princesse Peach ou encore le jeune aventurier Link de la licence Zelda. Ce jeu de combat est classé PEGI 12, âge minimal conseillé pour jouer à un jeu vidéo. Sa dernière version, "Super Smash Bros Ultimate", est sortie en 2018.

Twitch

Cette plateforme de streaming permet aux gamers de montrer leurs performances en direct. Les fans assistent à des parties sur Internet. Certains joueurs sont suivis par des millions de personnes, à l'image de Gotaga ou Squeezie, deux gamers français et leurs 3,5 millions followers.

RPG Maker

Autre terme anglais et trois lettres pour Role Player Gaming, jeux de rôle en français. Le RPG Maker est un logiciel simplifié de création de jeu vidéo. La section esport de l'ASPTT dispense des stages d'apprentissage sur ce logiciel pendant les vacances scolaires (lire par ailleurs).