![[Enquête] Rouen. Gouvernance des jeunes : la politique autrement](https://medias.tendanceouest.com/photos/1200/396728/)
80 adolescents, âgés de 11 à 17 ans, sont actuellement inscrits à l'accueil jeunes de l'association Mix'Cité à la Grand'Mare, à Rouen. S'ils ne sont pas encore en âge de voter cette année, ils ont tout de même pu mettre un bulletin dans l'urne.
Une élection a eu lieu en décembre dernier, pour constituer ce que l'association a appelé la Gouvernance des jeunes, afin que ces derniers puissent se sentir acteurs de cette microsociété qu'est le quartier de la Grand'Mare. Le gouvernement est ainsi composé d'une Présidente, d'un ministre de la Sécurité, d'une ministre des Idées et d'une ministre de l'Organisation. Chacun a son rôle bien défini, pour un mandat de deux ans. "Jusqu'ici, les ados de l'accueil jeunes ne se sentaient pas toujours entendus par l'association… Avec ce projet, on a voulu leur montrer qu'on était là pour porter leur voix, leurs revendications", explique Julia Gobourg, éducatrice à l'association Mix'Cité.
Sensibiliser à l'action citoyenne
Mais derrière cette gouvernance, il y a surtout la volonté de sensibiliser dès le plus jeune âge à l'action citoyenne dans un quartier où l'on vote encore trop peu. "L'idée était vraiment de les mettre dans des conditions qui sont celles que nous connaissons en tant qu'adultes citoyens." Mix'Cité a donc demandé à la mairie de lui prêter un isoloir et une urne pour rendre l'exercice le plus authentique possible. Des programmes et même des affiches présidentielles ont été publiés sur l'Instagram de "l'accueil jeunes 76".
Une trentaine d'ados ont pu ainsi voter et élire Francesca Cassamajor parmi trois autres concurrents. "Je suis fière de représenter le club", se réjouit, timidement, l'adolescente de 16 ans. Elle s'est présentée pour pouvoir organiser plus de sorties et d'activités pour les jeunes. "Je veux juste les faire sortir du quartier, organiser des séjours ailleurs qu'à Rouen ou simplement aller au laser game, au cinéma etc." Elle le reconnaît, les élections, l'actualité, ce n'était pas vraiment sa tasse de thé. "Maintenant, ça m'intéresse, moi-même j'étais étonnée." Désormais, elle suit un peu plus le feuilleton politique de la présidentielle. "J'ai vu que c'était serré entre Macron et Le Pen… J'aurais préféré Mélenchon face à Macron pour le deuxième tour." Si elle avait pu voter, elle aurait plutôt donné sa voix à Emmanuel Macron : "Mélenchon, il vend un peu trop du rêve."
Pour son gouvernement, elle a choisi Mohamed Al Zoubi. À 15 ans, le jeune homme s'est proposé pour devenir ministre de la Sécurité. "Ici, les plus jeunes que moi, ils m'écoutent… J'interviens si certains veulent foutre le bordel (sic) et s'il y a des bagarres, je peux séparer les jeunes… Ce rôle, ça m'a permis aussi de me calmer moi-même, je me sens plus responsable. Si je ne donne pas l'exemple, les autres, ils ne vont pas vraiment m'écouter", avoue Mohamed, "le grand frère". Le gouvernement se réunit une fois par mois avec la direction de l'association pour faire remonter toutes les idées évoquées entre les jeunes. La petite assemblée entend d'ailleurs s'élargir. Un nouveau ministère de la Communication devrait voir le jour prochainement.
Pierre Albertini, ancien maire de Rouen et politologue, revient sur l'abstention enregistrée au premier tour de l'élection présidentielle.
Pierre Albertini, ancien maire de Rouen, analyse l'abstention très marquée au premier tour de l'élection présidentielle.
Selon vous, les abstentionnistes seront-ils décisifs pour le second tour ?
Oui, parmi les abstentionnistes du premier tour, il y en a certains qui vont aller voter au second tour. Ce sera un vote d'élimination et non d'adhésion mais il y a inversement des gens qui ont voté au premier tour et qui vont s'abstenir au second.
Les habitants des quartiers populaires ont plutôt boudé l'élection, vont-ils se
remobiliser pour le second tour ?
Il est vrai que l'électorat populaire, c'est-à-dire les banlieues et l'électorat ouvrier, s'est beaucoup moins mobilisé. La plupart vont rester chez eux pour le second tour je pense. D'une manière générale, l'électorat qui s'abstient, on l'a vu au premier tour, c'est l'électorat le moins formé au niveau des diplômes, c'est celui qui vit dans une situation sociale, sinon de précarité du moins de grande difficulté.
Jean-Luc Mélenchon a fait de très bons scores à Rouen, est-ce que son électorat va s'abstenir lui aussi ?
Probablement. De manière générale, l'électorat de Jean Luc Mélenchon est composite. Il s'agit d'enseignants, d'intellectuels, de cadres moyens et de fonctionnaires. Cela ne forme pas un électorat extraordinairement soudé, donc on ne sait pas vraiment combien vont s'abstenir, combien vont voter Macron, ou combien vont même voter Marine Le Pen.
Les Hauts de Rouen, le quartier Grammont mais aussi le centre-ville Rive gauche concentrent à eux trois la plus forte proportion de non votants. Dans le bureau de vote de l'école maternelle Marguerite Messier, près de Bihorel, ce sont ainsi près de 43 % d'inscrits sur les listes électorales qui se sont abstenus, soit près de 5 points de plus que lors du dernier scrutin présidentiel en 2017. L'abstention a grimpé jusqu'à 46 % dans le bureau de vote 34, au Groupe scolaire Claude Debussy, situé en plein cœur des Hauts de Rouen. Du côté de Grammont, près de 40 % des inscrits au bureau de vote du centre socioculturel Simon Veil a aussi boudé l'élection. Ces quartiers ont également en commun d'avoir tous plébiscité le candidat Jean-Luc Mélenchon, de La France insoumise, qui arrive en tête, talonné par Marine Le Pen ou Emmanuel Macron dans certains cas.
Près de 50 000 personnes
Malgré cette absence dans les urnes, les habitants des Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) représentent une masse importante de citoyens dans l'agglomération rouennaise. Un habitant sur dix vivant dans la Métropole réside dans l'un des 16 QPV de Rouen, soit 47 800 personnes, selon les données de l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques). Il s'agit aussi d'une population très jeune. Dans les Hauts de Rouen, 41,5 % de la population a moins de 25 ans, toujours selon les chiffres de l'INSEE.
L'abstention a été importante à la Grand'Mare au premier tour de l'élection présidentielle.
Sans surprise, l'abstention a été forte dans les quartiers populaires de Rouen au premier tour des élections présidentielles. À la Grand'Mare, quartier des Hauts de Rouen, malgré un engouement certain pour Jean-Luc Mélenchon qui a globalement distancé ses adversaires, peu de gens se sont déplacés ici. Au bureau de vote installé à l'école élémentaire Jean-Philippe Rameau, à deux pas du centre commercial de la Grand Mare, le cœur du quartier, la participation n'a été que de 62 % selon les chiffres de la mairie de Rouen. Ce sont donc 38 % des inscrits qui se sont abstenus ce dimanche 10 avril, soit près de 10 points de plus qu'en 2017.
Défiance pour le second tour
Ici, certains habitants n'y croient plus, comme Mohamed Ammouta, 66 ans, à la retraite, qui n'a pas voté au premier tour : "Je ne me suis pas du tout retrouvé dans les candidats", explique cet habitant de la Grand Mare, déplorant la prépondérance des thèmes identitaires dans la campagne, "On vit désormais dans une société de préférence nationale… vous voulez faire des voix, parlez immigration." "Marine Le Pen parlait de renvoyer les binationaux, moi ma fille elle est Franco-Canadienne et elle est née en Belgique, du coup binationaux ça concerne qui ? Je n'irai pas voter Macron non plus, il s'est abstenu du débat pour le premier tour, il se voit déjà vainqueur." Mohamed se dit alors que c'est à son tour de s'abstenir. Le choix est le même pour Pascal Prieur, venu chercher sa baguette à la boulangerie du centre commercial de la Grand Mare ce mardi 12 avril. Lui a fait son devoir de citoyen au premier tour mais va rester chez lui le 24 avril prochain. "On entend beaucoup dire qu'il faut choisir entre la peste et le choléra, c'est à peu près ce que je pense. Je ne veux voter ni pour l'un ni pour l'autre et vu que le vote blanc n'est pas comptabilisé, je n'irai pas voter." Sortie du boucher d'à côté, Cindy Lemercier a le même sentiment de lassitude. "J'y crois de moins en moins, on revoit toujours les mêmes candidats, il y a cinq ans c'était la même chose. Personnellement aucun des deux ne m'attire vraiment."
"C'est plus intéressant
d'aller voter aux législatives"
Assise sur un banc près du centre médico-social, Fatoumata Savane, elle, est beaucoup plus enthousiaste. Pour la jeune Rouennaise de 24 ans, il est indispensable de participer au scrutin. "Je le dis à tout le monde, il faut voter, je trouve qu'on devrait rendre le vote obligatoire." Ce fut d'ailleurs un baptême du feu pour Fatoumata qui a voté pour la première fois à la présidentielle ce dimanche 10 avril. Son choix s'est porté sur Jean-Luc Mélenchon, tout comme Barra Sano, en partance pour la salle de sport. "C'est celui qui représente le plus la classe sociale dans laquelle je vis, la classe populaire… Je me reconnais plus dans son programme comme la plupart des gens qui habitent dans ce quartier je pense." S'il a choisi de ne pas voter au second tour, le jeune homme ira sûrement se déplacer pour le "troisième tour" en juin. "Je pense que c'est plus intéressant d'aller voter aux législatives que de voter pour Macron ou Le Pen. Il pourrait y avoir une cohabitation."
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