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[Enquête] Caen. Santé mentale : l'hospitalisation en psychiatrie à flux tendu

Santé. L'hospitalisation en psychiatrie à l'Établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen est de plus en plus tendue. Soignants, patients et proches racontent l'enfer des conditions de prise en charge.

[Enquête] Caen. Santé mentale : l'hospitalisation en psychiatrie à flux tendu
L'Établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen fonctionne à flux tendu. Les lits d'hospitalisation sont complets en ce début d'année 2022.

L'Établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen n'échappe pas aux difficultés actuelles des hôpitaux publics. "Le personnel soignant est à bout", s'inquiète Florent Roger, secrétaire général à la CGT. Plus de 1 200 soignants (infirmiers, aides-soignants, Agents de service hospitalier et médecins) travaillent dans cet hôpital. Ces dix dernières années, les conditions de prise en charge se sont terriblement dégradées. C'est ce que pointe du doigt Isabelle De Oliveira, aide-soignante depuis 22 ans. "On n'a plus le temps d'accompagner des patients vers l'extérieur, souffle-t-elle. Les activités thérapeutiques comme la pâtisserie, les jeux de société, les courses avec le patient… C'est devenu à la marge."

"Je suis un peu comme un lion en cage"

Elle dénonce un système protocolaire au détriment de la qualité d'accompagnement du patient. Hospitalisé pour des troubles d'anxiété, Jean-Michel, 57 ans, est entré dans le service d'admission en janvier 2022, juste après les fêtes de Noël. "On ne nous occupe pas, je m'ennuie, raconte-t-il, la gorge serrée. Je suis un peu comme un lion en cage dans ma chambre. Par contre, je n'ai aucun reproche à faire au personnel soignant, il est très sympa." Seul dans sa chambre d'hôpital, il se sent de plus en plus livré à lui-même. "Parfois, les patients sont assis dans le couloir, les uns après les autres, à attendre leurs médicaments. D'autres ne sortent pas de leur chambre, poursuit Isabelle. C'est triste, ça fait mal au cœur de les voir comme ça." En novembre 2017, Mathis Boiron, 19 ans, a été hospitalisé pour décompensation de la schizophrénie. Il a été isolé pendant quatre jours dans un service d'admission de l'EPSM. "C'était traumatisant. On m'apportait mes repas et mes médicaments, et c'est tout, rembobine-t-il. Il y avait une horloge dans la chambre, je la regardais toute la journée, mais l'aiguille n'avançait pas. J'avais l'impression que j'allais y rester toute ma vie." Un enfer vécu également par ses proches. "Je n'avais pas du tout accès à mon fils. Ce que je regrette, c'est qu'il fallait courir après les informations", raconte Alexandra Dumarais, sa maman. Dans les unités d'hospitalisation, en admission et en séjour moyenne/longue durée, les patients sont placés par secteur géographique. Non pas en fonction du trouble psychiatrique. Une manière "de ne pas stigmatiser les patients", selon Arnaud Dumoulin, cadre au sein de l'unité de réhabilitation psychosociale, mais qui n'est pas forcément bien vécue par les patients. "Dans le bâtiment, je croise des gens avec des problèmes mentaux plus graves que le mien. Ce n'est pas évident", poursuit Jean-Michel, qui prend l'air dans le parc de 20 hectares. Mathis Boiron, lui, est resté un mois interné à l'hôpital après sa période d'isolement. "Les murs blancs devenaient insupportables. Les visites m'ont permis de sortir la tête de l'eau." Ses parents venaient le voir tous les jours. "Je me suis aussi fait des amis. On jouait au Uno ou au Mille bornes." Le jeune adulte ne voyait pas le bout du tunnel, ni ses parents, qui soulignent néanmoins le professionnalisme du personnel soignant. "Les gens qui y travaillent sont très courageux !", dit sa maman. Mais pour combien de temps ?

Quel avenir pour l'EPSM ?

Caen. Quel avenir pour l'EPSM ?
Jean-Yves Blandel, directeur de l'EPSM, part à la retraite le 16 mars 2022.

Le directeur de l'Etablissement public de santé mentale (EPSM) de Caen, Jean-Yves Blandel, part à la retraite en mars 2022. Quel avenir pour l'hôpital ? Entretien.

Jean-Yves Blandel, vous dirigez l'EPSM depuis presque dix ans.
Quel bilan faites-vous ?

"Il y a eu des tensions sociales autour de 2014-2015. De très fortes contraintes budgétaires nous ont contraints à fermer des lits et baisser les effectifs. À côté, on a renforcé nos équipes mobiles. En 2020, on comptait environ une trentaine d'agents extra-hospitaliers."

Et à titre personnel ?

"J'ai fait ce que j'avais à faire. L'hôpital répond mieux aux besoins qu'il y a dix ans. Nous avons développé des activités spécialisées, comme l'unité de réhabilitation psychosociale Ariane ou encore la prise en charge de patients aux troubles autistiques sévères."

Y a-t-il des projets de développement pour l'hôpital ?

"Deux projets sont soutenus par l'Agence régionale de santé, dont notamment celui de reconstruction du pôle Calvados Sud. Les bâtiments "Tilleul" et "Patio" vont être restructurés. Une unité de 30 lits va être créée pour les soins libres et 15 lits pour les soins sans consentement. Cela devrait être opérationnel en 2024, pour un budget entre 13 à 14 millions d'euros."

Vous partez à la retraite en mars.
À quoi faut-il s'attendre demain ?

"Je ne sais pas qui sera mon successeur, mais il est prévu que Frédéric Varnier, directeur général du CHU, assure l'intérim. Ce que je regrette, c'est l'éclatement de la psychiatrie à Caen, entre l'EPSM, Esquirol et Bayeux. Il faut apporter des solutions."

Un hôpital en manque de moyens

Caen. Un hôpital en manque de moyens
Dans certains services d'hospitalisation en psychiatrie, les soignants sont à bout face au manque de moyens.

Les demandes de soin en psychiatrie ont augmenté avec la crise sanitaire. À Caen par exemple, l'EPSM manque de moyens pour répondre aux besoins. Analyse.

L'Établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen a pris un virage en 2014. Des difficultés financières ont contraint l'hôpital à réduire le nombre de lits et les effectifs. Sauf qu'en 2019, il a récupéré les patients du secteur de Vire, sans augmenter les moyens humains. "Il y a une cinquantaine de salariés qui ont fait des burn-out depuis le début de la crise, c'est du jamais vu !", alerte Florent Roger, secrétaire général de la CGT. Une situation critique dont a bien conscience la direction. Huguette Hoareau, directrice de l'organisation des soins : "On constate un épuisement des équipes, notamment avec les bouleversements liés à la crise de la Covid-19."

Pénurie de médecins

Par poste, on compte environ trois infirmières pour deux aides-soignantes. "Quand j'ai commencé, on était huit à dix par poste, ce qui nous laissait la possibilité d'être deux pour sortir un patient", raconte Gaëlle Allard, infirmière depuis 2001 à l'EPSM. Pourtant, le temps soignant en psychiatrie compte pour moitié à l'extérieur du service et de la chambre. Pour les syndicats, il faudrait "une centaine de soignants supplémentaires" sur l'ensemble de l'hôpital pour travailler convenablement.

"La prise en charge des patients se résume aux toilettes
et aux repas"

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"Le problème majeur, c'est que l'on manque de médecins. Un hôpital sans médecins, ça ne fonctionne pas. Il en faudrait dix de plus", rétorque Jean-Yves Blandel, directeur de l'EPSM arrivé en 2012. Selon lui, le problème ne s'arrête pas uniquement au nombre de lits et de soignants. L'établissement souhaite à tout prix déployer des moyens extra-hospitaliers. "Il faut renforcer nos équipes mobiles afin de mieux suivre les patients dans les hôpitaux de jour, les EHPAD, etc. Cela permet de prévenir l'hospitalisation et d'éviter les rechutes", poursuit-il. En 2020, l'hôpital comptait une trentaine d'agents en équipe mobile, qui se déplace auprès du patient. "Sauf que l'on nous demande en permanence de combler les plannings dans les services par manque de bras", souffle Gaëlle Allard, qui a rejoint une équipe mobile il y a trois ans. "J'ai l'impression de mal faire mon travail. La prise en charge des patients se résume aux toilettes et aux repas." Les moyens de prise en charge qui se sont dégradés se répercutent directement sur les patients, comme en témoigne Alexandra Dumarais. Son fils a été hospitalisé il y a quatre ans. "J'ai l'impression que la psychiatrie est parfois un peu oubliée dans les hôpitaux. Ceux qui y travaillent sont très courageux." Dans le cadre du Ségur de la santé, accompagner la modernisation des établissements de santé mentale, dont fait partie l'EPSM de Caen, est une priorité pour la Région. Pour la direction, le changement ne peut pas se faire du jour au lendemain. "La psychiatrie est en pleine mutation", selon Jean-Yves Blandel. Dans l'agglomération caennaise, un patient accède à un psychiatre en moins de quinze minutes en moyenne selon des chiffres du Ségur de la santé de novembre 2021.

La situation a-t-elle empiré avec la crise sanitaire ?

Caen. La situation a-t-elle empiré avec la crise sanitaire ?
La crise liée à la Covid-19 a provoqué un rebond des demandes de soins en psychiatrie. Depuis novembre dernier, la totalité des lits sont occupés.

La crise sanitaire a eu un impact direct sur la santé mentale des Français. À Caen, les chiffres parlent d'eux-mêmes. À la sortie du premier confinement, la demande a augmenté de 20 à 30 % par semaine à l'EPSM.

Après deux ans de restrictions sanitaires et de confinements, la santé mentale des Français est au plus bas. Selon les chiffres de Santé publique France, 10 % des Français déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours de l'année.

Plus aucun lit disponible

Les chiffres ne mentent pas, même au niveau local. À l'EPSM de Caen, la demande de soins et d'hospitalisations a augmenté entre 20 et 30 % chaque semaine à la fin de l'été 2020, soit à la sortie du premier confinement. "Se sont révélés des syndromes anxieux et des angoisses", indique Huguette Hoareau, directrice de l'organisation des soins. Depuis, les demandes ne baissent pas. "On enregistre sept à dix patients par jour en admission", constate Jean-Yves Blandel, le directeur de l'établissement. En ce début d'année 2022, la totalité des lits, soit environ 290 lits sont occupés. "On est à flux tendu depuis novembre dernier", poursuit-il. Si bien que certains patients sont transférés vers d'autres hôpitaux de la région, voire plus loin, dans la Sarthe ou en Bretagne par exemple. Ce taux d'occupation ne fait que grandir. En 2013, 81 % des lits étaient occupés, contre 86 % en 2016 et 97 % en 2020. Avec cette crise sanitaire, le type de troubles a aussi évolué. "On a vu se développer des troubles de conjugothérapie, des souffrances en lien avec l'enfermement, explique Huguette Hoareau. Il y a eu plus d'adolescents et d'enfants et un développement des comportements addictifs".

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