La présidente du tribunal, fines lunettes sur le nez, a le sens de l'humour : "Cette affaire, c'est une curieuse fête des voisins", dit-elle. Voisins certes, mais pas vraiment copains : Antoine et Peter ont la même corpulence, cheveux ras tous deux, ils se regardent pourtant en chiens de faïence, assis pas très loin l'un de l'autre dans la salle d'audience du tribunal correctionnel de Caen. Leur dispute qui s'est étalée sur trois petites années, entre mars 2018 et juillet 2021, dans le petit lotissement fait de logements sociaux à la sortie de Moult, aux portes de Caen, s'est terminée par une bagarre en règle et… devant le tribunal, appelé la semaine dernière à juger ce conflit de voisinage pas comme les autres.
"Une poussée de testostérone"
Maître Marond-Gombar, avocat de Peter, l'un des deux trentenaires accusé de violences, a même qualifié cette affaire de "très pédagogique", une façon pour lui de dire que la vie en lotissement n'est pas toujours un long fleuve tranquille et que ce conflit "incontrôlé" pourrait servir de leçon sur ce qu'il ne faut pas faire. L'autre avocat, Maître Frédérike Dury-Gherrak, représentante des intérêts d'Antoine, lui aussi accusé de violence et d'agression, a eu quant à elle cette réflexion : "Moi, je suis bien contente de ne pas habiter dans cette rue et d'être une femme. Cette poussée de testostérone me fatigue un peu."
L'affaire se joue en deux temps. D'abord, le 6 mars 2018. Ce jour-là, Peter, rentre du travail au volant de sa voiture. Le trentenaire, artisan maçon originaire de Fécamp, en Seine-Maritime, est arrivé dans le Calvados il y a peu, à la faveur de la mutation professionnelle de sa compagne, Gabrielle, embauchée dans un grand magasin du centre-ville de Caen. Sa compagne le précède, elle-même conduisant son véhicule avec à l'intérieur Elya la fille du couple. L'enfant est âgée d'à peine quatre ans à l'époque. C'est au moment où Peter emprunte la rue qui mène à son logement, en passant devant chez son voisin Antoine, que les choses tournent au vinaigre. Son voisin est visiblement furieux, il prétend que Peter roule beaucoup trop vite et qu'il est monté sur le trottoir, manquant, dit-il, de l'écraser ! Le voisin en colère se précipite sur Peter, le roue de coups. L'entourage familial des deux garçons est présent, la scène est violente. "Je n'aurais pas dû faire cela", reconnaît aujourd'hui Antoine. Il est un peu penaud. "J'ai pété les plombs." Peter s'en sort avec le nez cassé, un œil au beurre noir, une dent brisée et des hématomes sur le visage. En fait, le conflit entre les deux dure déjà depuis plusieurs semaines, les voisins s'accusant de provocations réciproques ! L'un dit que l'autre roule à chaque fois trop vite, s'amuse à klaxonner à chaque fois qu'il passe devant chez lui, l'autre prétend qu'il est l'objet de railleries de la part de son voisin qui lui lance des objets, capsules de bière, briquet, mégots de cigarette à chacun de ses passages.
"Je vais te fumer"
Le 23 juillet 2021, second épisode du conflit : cette fois, Peter, visiblement éméché, s'en prend torse nu et colérique à la porte et aux volets de la maison du voisin, qu'il menace de mort. "Je vais te fumer." Une vidéo prise sur le fait par un voisin du quartier et que nous avons visionnée témoigne de la violence du moment. Finalement, les forces de l'ordre interviennent et les deux hommes sont renvoyés devant le tribunal. À l'audience, la substitut du procureur de la République les a renvoyés dos à dos. Elle a demandé pour chacun d'eux six mois de prison avec sursis. Le jugement a été mis en délibéré.
Aujourd'hui, le calme est revenu à Moult. Antoine et sa compagne ont déménagé, ils habitent désormais près de la gendarmerie. Peter est resté dans sa maison avec Gabrielle. Le couple vient d'avoir un second enfant, Aina, née il y a un mois. "Une page est tournée", se réjouit le jeune papa. Sa compagne sourit, son nourrisson dans ses bras. "On va pouvoir la faire, cette fête des voisins. Une vraie celle-là."
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