Le couple habite la commune depuis plus de quarante ans. Autrefois, disent Patricia et Bernard, il n'y avait que des champs autour de leur petite maison, ce n'était pas très facile d'accès, le chemin était à peine carrossable.
Aujourd'hui, c'est bien différent : les maisons ont poussé comme des champignons et la voie goudronnée conduit à quelques belles résidences. À l'arrière, il y a le cimetière, l'église et la petite mairie qui était autrefois l'école communale. Elle sert aussi aux assistantes maternelles du canton d'Aunay pour y accueillir les enfants en bas âge trois fois la semaine. "Peu à peu, nous avons vu de nouveaux arrivants s'installer dans la commune. Nos voisins sont sympas, c'est le principal", soulignent Patricia, 67 ans, et Bernard, 70 ans.
La commune dont ils parlent, c'est La Bigne, pas loin du Zoo de Jurques. Une rangée d'éoliennes domine le bourg de 217 habitants, des agriculteurs, des familles dont beaucoup travaillent à l'extérieur, des retraités comme Bernard et Patricia. Lui, a fait carrière dans la banque, il a pris sa retraite il y a dix ans. Elle, a fait des ménages quand tous deux ont décidé de s'installer dans la commune.
Leur petite maison est posée à deux pas de la mairie, à l'arrière du cimetière. Francis, l'agriculteur qui s'est donné la mort la semaine dernière, était leur nouveau voisin, arrivé il y a tout juste six mois à La Bigne, pour reprendre avec son fils Antony et sa belle-fille Alicia, tous deux la trentaine, une jolie ferme en contrebas du bourg. Le GAEC familial exploite un troupeau de 125 laitières.
"Il s'est pendu ailleurs que dans
la commune. Peut-être pour
ne pas nous ennuyer…"
Que s'est-il passé pour en arriver à pareille extrémité ? "On ne sait pas grand-chose, soufflent Patricia et Bernard. Ce qui nous a étonnés, c'est de voir les gendarmes dimanche matin passer sans cesse devant chez nous." La veille, le samedi soir, Antony, le fils de Francis, s'était inquiété de ne pas voir son père, il avait alerté les gendarmes. Le dimanche, tout le monde partait à la recherche du disparu, retrouvé quelques heures plus tard à quelques kilomètres de sa ferme, sur la commune de Brémoy, au-delà du zoo de Jurques. Ce sont deux motards qui parcouraient les chemins creux qui ont fait la sinistre découverte : la voiture de l'agriculteur, un véhicule utilitaire dont un pneu était crevé, était stationnée au bout du chemin : l'homme s'est pendu quelques dizaines de mètres plus loin, tout près des étangs de Crennes.
"On ne sait pas trop pourquoi il est allé jusque là-bas pour en finir. Peut-être a-t-il voulu s'éloigner du village pour ne pas nous ennuyer", avance Patrick Duchemin, le maire de la commune. À 64 ans, cet ancien agriculteur qui en est à son cinquième mandat d'élu connaît bien la famille du disparu : il lui a vendu sa ferme et s'est fait construire un joli pavillon juste au-dessus. Cathy, l'épouse de Patrick Duchemin, a disposé à l'entrée de leur résidence de belles statues de pierre. "On finissait juste de les installer quand nous avons appris la disparition du voisin."
Avait-il des soucis d'endettement, comme des agriculteurs au bout du rouleau peuvent en connaître dans nos campagnes ? "Non, pas du tout, insiste le maire. C'est autre chose : il était dans un état profondément dépressif. C'est douloureux, ce drame familial touche aussi tout le village", dit le maire.
Patricia et Bernard, le couple de retraités, a appris la nouvelle de la bouche même de l'élu. "Tout cela est bien triste." Au mur de la cuisine, il y a Johnny Hallyday qui veille en photo sur la couverture du calendrier. "C'est mon idole", dit Patricia. Elle ne l'a jamais vu sur scène mais conserve chez elle une série de timbres collector, "les timbres de Johnny sur la Route 66".
Ainsi va la vie, sur l'autre "route" d'un village meurtri par la mort de son agriculteur…
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