Le parti du président turc Recep Tayyip Erdogan a essuyé un sérieux revers dimanche aux élections législatives et perdu sa majorité absolue détenue depuis treize ans au Parlement, enterrant de fait ses espoirs de renforcer son règne sans partage sur le pays.
Selon des chiffres officiels portant sur la quasi-totalité des bulletins (98%), le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) arrive sans surprise en tête du scrutin mais n'a recueilli que 41% des suffrages et 259 sièges de députés sur 550, le contraignant à former un gouvernement de coalition.
Elevé au rang de "faiseur de rois", le parti kurde HDP (Parti démocratique du peuple) a largement passé la barre des 10% des voix nécessaires pour être représenté sur les bancs du Parlement, avec 12,5%, obtenant ainsi 78 sièges.
"Nous sommes sur le point de gagner 80 sièges au Parlement", s'est réjoui un député du parti, Sirri Sureyya Önder, devant la presse, "ces résultats représentent la victoire de la liberté sur la tyrannie, de la paix contre la guerre".
Le HDP comptait 29 sièges dans l'Assemblée sortante, élus sous l'étiquette indépendante pour contourner le seuil obligatoire des 10%. Ces députés n'avaient retrouvé leurs couleurs et formé un groupe qu'une fois en fonction.
Les deux autres principaux concurrents du parti au pouvoir, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite), obtiennent respectivement 25,2% et 16,5% des voix, soit 131 et 82 sièges.
Vainqueur de tous les scrutins depuis 2002, le parti AKP se présentait pour la première fois affaibli face aux électeurs, victime du déclin de l'économie et des critiques récurrentes sur la dérive autoritaire de son chef historique.
Ce premier "raté" électoral sonne comme une sévère défaite pour M. Erdogan, qui avait fait de ce scrutin un référendum autour de sa personne.
Premier ministre à poigne pendant onze ans, Recep Tayyip Erdogan a été élu haut-la-main président en août dernier et vise depuis la présidentialisation du régime et le renforcement de ses pouvoirs. Pour y parvenir son parti devrait totaliser au moins 330 sièges pour faire passer une réforme de la Constitution.
- 'Dictature constitutionnelle' -
Alors que la Constitution lui impose une stricte neutralité, le chef de l'Etat a battu les estrades pendant des semaines en réclamant "400 députés" pour changer le système parlementaire actuel. Ce régime est "un obstacle au changement" et fait de la Turquie "une voiture qui tousse car son réservoir est vide", a-t-il répété.
A l'inverse, l'opposition a dénoncé ces projets, qualifiés de "dictature constitutionnelle".
"J'espère que cette élection sera la bonne et que nous pourrons nous débarrasser de +Tayyip+ et de sa bande", a déclaré à l'AFP Ergin Dilek, un ingénieur de 42 ans qui votait à Ankara.
"J'ai voté pour l'AKP aux précédentes élections parce qu'ils ont fait du bon travail. Mais je n'ai plus confiance en eux", a renchéri Murat Sefagil, 42 ans, illustrant la désaffection pour le parti au pouvoir.
Le chef de file du parti kurde, Selahattin Demirtas, un "quadra" charismatique et ambitieux, a mené une campagne moderne, très marquée à gauche et résolument dirigée contre M. Erdogan et son gouvernement. Il a réussi à élargir son audience au-delà de la seule communauté kurde (20% de la population turque).
"J'ai voté pour le HDP parce que c'est un parti dynamique capable d'apporter un réel changement", a confié Hazal Öztürk, 19 ans, qui votait pour la première fois à Istanbul.
La fin de la campagne a été marquée par de nombreuses violences, visant pour l'essentiel le HDP. Vendredi soir, un attentat à la bombe contre une réunion publique du parti kurde dans son fief de Diyarbakir (sud-est), a fait deux morts et plusieurs centaines de blessés, certains grièvement atteints.
Comme l'opposition, le gouvernement a dénoncé une "provocation". "Nous voulons que ce jour soit une fête pour la démocratie", a déclaré dimanche dans son fief de Konya (centre) le chef du gouvernement Ahmet Davutoglu et a annoncé l'arrestation d'un suspect après l'attentat.
Plus de 400.000 policiers et gendarmes ont été déployés dimanche, selon les médias turcs, qui n'ont signalé que de rares incidents isolés.
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